FAUST MAGAZINE - #19 ICONIC
octobre 2022

JET D’ENCRE





KV35YL

L’immortelle


Quel point commun y a-t-il entre une révolution monothéiste, les tatouages d’une reine de la pop et une machine à coudre ?

Nos cultures se nourrissent de grands noms. Certains, portés par les arts, ont traversé jusqu’à plusieurs millénaires. Au gré des remous de l’Histoire, ils ont été érodés, enfouis, perdus, puis retrouvés, polis, et parfois même magnifiés.

C’est en -1331 av. J.C. que les archéologues situent le décès d’une reine égyptienne qui aurait dû sombrer dans l’oubli. A sa mort, son peuple fît tout pour anéantir le souvenir de son règne, et celui de son époux, en mutilant leurs noms et leurs visages à coups de burin partout où ils avaient été gravés. La raison d’une telle rancœur : le couple royal c’était rendu coupable d’une réforme drastique de la religion polythéiste qui, jusqu’à présent, fondait la civilisation égyptienne, en imposant un dieu unique : Aton. Cette réforme ne dura pas. Leur successeur, Toutankhamon, annonça dès son accès au trône le retour aux anciennes croyances, balayant l’œuvre de ses pères.

Mais l’Homme ne dicte pas au Temps ce qu’il doit détruire ou préserver.

En décembre 1912, l’archéologue allemand Ludwig Borchardt exhume des ruines d’Amarna un buste de femme : ses traits fins, sa nuque svelte et ses yeux félins captivent. Cette sculpture aux proportions minutieuses, colorée et laquée, ne peut représenter qu’une reine. Il s’agit de la reine déchue, mère présumée de Toutankhamon. Son nom ressurgit : Néfertiti.  

L’engouement est immédiat. On l’emporte à Berlin, on en fait des répliques. Le buste répond aux canons de beauté de la belle époque et l’Occident s’enthousiasme pour ce trésor qu’il vient de s’approprier. Néfertiti est érigée en idéal de beauté, dont la mode et la pub s’en emparent. On multiplie les fouilles. D’autres pharaons, notamment son époux, Akhenaton, accèdent eux aussi à la postérité. La terre égyptienne ne dispense des indices sur ses nombreux secrets qu’avec parcimonie, laissant le champ libre aux fantasmes.

Côté oriental, outre la nécessité de se réapproprier ce patrimoine pillé, on comprend vite la force de tels récits pour assurer une cohésion identitaire, au-delà des communautarismes en vigueur. Les politiques, à l’instar du président Nasser, encouragent la réutilisation des légendes et de l’iconographie antique pour fédérer le peuple égyptien. La fameuse machine à coudre Néfertiti, issue des ateliers militaires pour la production de biens civils, en est un exemple.

A force d’investigations, le récit de vie de Néfertiti se précise. Adulée par son mari, on sait qu’elle a été, à son égal, puissante et influente sur le plan politique comme spirituel. Etonnant pour une femme de l’époque ? Pas forcément. Possible que le progrès social ne soit pas aussi linéairement parallèle à l’écoulement du temps qu’on ne le croit…Aujourd’hui, la reine quasi-ressuscitée incarne le pouvoir féminin de séduction et d’influence. En se tatouant à son effigie, la chanteuse barbadienne Rihanna l’a bien compris. A travers ses clichés envoûtants, elle perpétue à son tour la légende de cette reine africaine à l’aura universelle.

Quant au code KV35YL, sauriez-vous en imaginer la signification ? Je vous laisse mener l’enquête ! Sinon, il fallait faire un tour cet été au Musée des Cultures Européennes et Méditerranéennes de Marseille, qui invitait à reconsidérer les histoires pas si poussiéreuses de ces Pharaons devenus des Superstars de notre époque.



Ségolène Girard







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