juillet 2022
JET D’ENCRE
UNE PREMIERE
Au pays du ballon rond
L’air est chargé d’électricité. Il est 21h20. Il fait encore très chaud dans ce quartier excentré de Brasilia. Un vent léger agite les palmiers. Tout le monde est au stade. La foule s’impatiente. Celle qui est là, dans les gradins, mais aussi celle qui, à travers tout le pays, prend place derrière les écrans de TV. Les caméras ont déjà leur œil de verre rivé sur la pelouse. Le match oppose l’équipe locale de Ceilândia à celle de Botafogo. L’enjeu : la coupe brésilienne 2022 !
Les supporters font ce qu’ils peuvent pour attirer la fortune sur leur équipe. On embrasse sa croix, on s’est maquillé aux couleurs de son camp, on porte les maillots des joueurs, et les mêmes baskets que celles qu’on portait le jour de leur dernière victoire ! La superstition ne tue pas. Tout ce qui a déjà porté chance dans le passé devient rituel. Les supporters de Ceilândia manifestent autant de foi que possible. Mais en face, l’optimisme des supporters de Botafogo semble inébranlable. Et pour cause : ils ont avec eux un porte-bonheur qui a déjà fait ses preuves.
A cet instant, ce porte-bonheur exceptionnel se trouve dans les studios de la Globo, la chaîne de TV. Casque sur les oreilles, micro branché. Concentrée. Elle s’appelle Renata Silveira.
Si le match d’aujourd’hui promet d’être historique, c’est grâce à elle. Ce 20 avril 2022 elle est la première femme à commenter un match masculin sur la chaîne publique, au royaume du ballon rond.
Renata ne débute pas. Elle commente déjà les matchs sur des chaînes privées. En 2021, c’est elle qui a crié la plus belle victoire de Botafogo. 5 à 0 ! C’est pour ça que les supporters s’en souviennent. C’était sur SporTV, une chaîne privée suivie essentiellement par des passionnés. Ceux-là connaissent déjà le talent de la jeune femme, son parcours et sa fine analyse du jeu.
Mais aujourd’hui, sur la chaîne publique, c’est autre chose. Il s’agit de conquérir un public moins pointu. Imposer sa voix et son charisme au plus grand nombre, qui voit toujours le foot comme un temple du masculin.
En s’appropriant ce poste tant convoité, Renata Silveira offre un nouveau modèle à suivre, soutenue par la Globo qui l’a recrutée : le football, roi des sports, est en train de devenir plus universel encore. Les tournois féminins existent déjà. Mais en permettant aux femmes de commenter le jeu des hommes, on reconnaît la valeur de leur participation à l’engouement collectif. Une barrière tombe. Un nouveau paradigme s’installe : entre des femmes qui osent s’intéresser à ce qui passionne les hommes, et des hommes qui leur reconnaissent un talent égal au leur, il y a de l’estime. La misogynie affichée est devenue synonyme d’une virilité fragile. Désormais, on sait que l’on attire le respect avec du respect.
Renata Silveira est une pionnière. Elle ne l’a pas cherché. Elle y est allée au mérite, et parmi ses homologues masculins qui occupaient jusqu’à présent la place, elle a trouvé des soutiens.
21h30. Coup d’envoi. Dans un bar de Brasilia, un homme vient de s’assoir au comptoir. Il appelle le gérant. Il exige que la télé soit branchée sur la Globo. Il n’est pas seulement venu voir le match, dit-il. Il vient assister à la grande première de Renata !
Ségolène Girard