FAUST MAGAZINE - #16 HISTORY
janvier 2022

JET D’ENCRE






CHASSE A LA LICORNE

Un mirage venu du fond des âges

 
        Certaines pages de l’Histoire ont été illustrées d’un riche répertoire de chimères, créatures symboliques dotées des vertus ou des vices les plus en vogue : Phénix renaissant de ses cendres, Basilic redoutable, aussi venimeux que la Méduse, Dragon remonté des Enfers…
A notre époque qui ne semble accorder de crédit qu’à la science, à l’économie et au cynisme, il faut bien reconnaître que ce folklore moyenâgeux a perdu de son influence.

    Pourtant, il est une de ces créatures qui a traversé les âges sans rien perdre de sa superbe : la Licorne !
Son origine remonterait à l’existence préhistorique d’un gigantesque rhinocéros dans une région reculée de l’Inde. Des bas-reliefs datant de -2500 av. JC en attestent. A moins qu’il ne s’agisse d’un taureau représenté de profil, ses deux cornes se confondant dans la même perspective… Mais parce que toutes les autres bêtes à cornes en ont deux, et pas elle, l’unicorne est d’emblée une créature adulée, forcément magique. On suppose aujourd’hui que de rarissimes cas de bovidés à une corne, atteints de malformation, ont pu être interprétés comme des manifestations divines.

    La figure du monocéros se développe dans les civilisations orientales, où il est d’abord symbole de fertilité. Puis peu à peu, sa légende gagne du terrain sur les cultures occidentales, rapportée par les récits de biologistes férus d’exotisme. Tour à tour, antilopes, ânes, et même êtres humains dans les récits des anciennes vies du Bouddha, prêtent leur corps à la chimère dont on ne sait plus trop à quoi elle ressemble.

    Le problème, c’est que la licorne est fugace. Le chasseur le plus aguerri n’en peut venir à bout, car seule une jeune fille pure et vierge (l’association de ces deux termes pouvant porter à polémique, mais ce n’est pas le sujet) aurait le pouvoir de l’approcher.
    Le succès de la bête est total lorsque son apparence se fige enfin dans le bestiaire médiéval : le corps d’un cheval blanc, assortis de quelques attributs caprins, la tête surmontée d’une imposante corne torsadée.

    N’étant plus à une contradiction près, on en fait volontiers un symbole de fécondité, de virginité, de féminité, ou de puissance phallique… Mais la notoriété de la Licorne s’effondre lorsqu’est attestée publiquement l’existence du narval. La supercherie de sa soi-disant corne aux fabuleuses propriétés, vendue à prix d’or, est dévoilée.

    Heureusement, les deux animaux, l’un terrestre, l’autre marin, sont suffisamment éloignés pour que le second n’évince pas le premier… La Licorne est démystifiée, mais la substantielle symbolique du cheval, qui lui est associée, la sauve de l’oubli.

    Réinventée en jouet, à destination de petites filles rêveuses, elle devient un emblème du « girly ». Puis, poussée dans les retranchements de sa mièvrerie, elle connaît vers 2015 un succès aussi retentissant qu’inattendu sur la fashion planet qui en fait un symbole assumé d’innocence, et d’autodérision. Cette reconversion la rend compatible avec le cynisme évoqué plus haut, et l’irréductible Licorne s’impose bientôt partout. Reprise par la communauté LGBT+ qui voit en elle l’épanouissement d’un hybride échappant à toute définition réductrice, sa crinière arc-en-ciel flottant au vent, elle représente aujourd’hui les idéaux que l’on n’est jamais certain d’atteindre, mais que l’on continue de poursuivre, par amour du rêve.


Ségolène Girard






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