FAUST MAGAZINE - #14 POP
juillet 2021

JET D’ENCRE






ICÔNES

Langage émotionnel de la Pop Culture



          Elections présidentielles de 2008 : un homme fait son apparition sur l’échiquier politique. Il n’est pas issu du parti majoritaire, il est afro-américain, et surtout, il est encore largement méconnu du grand public. Sa campagne s’avère déterminante. Mais au lieu d’une photo toute en nuances, révélant la confiance dans son regard et la lumière dans son sourire, c’est un visage en 4 aplats de couleurs, synthétisé comme un logo, qu’il montre aux américains. Le street-artiste Shepared Faiey (dit aussi Obey) a reçu l’honneur de dessiner cette affiche de campagne mémorable. Issu du monde des riders, plutôt contestataire, Obey mêle dans son travail les codes graphiques de la rue et de la pub à ceux des images de propagande politique. Fort de ce parti pris visuel inédit, Barack Obama s’impose dans le paysage iconographique. Il est élu le 4 novembre.

        Dans les temps où les images étaient encore des objets rares et uniques, la narration était reine. Contes et légendes entretenaient la mémoire de personnages qu’un trait de caractère singulier s’étant cristallisé autour de leur nom avait porté à la postérité. Beaucoup font encore partie de notre socle culturel, comme Hercule, Cléopâtre, Robin des bois ou Dracula… Sublimées par des récits sans cesse étoffés d’une surenchère de détails dans la bouche des conteurs, ces figures célèbres devinrent des modèles ou des contre-modèles : des icônes. On a toujours tenté de les représenter. Mais le phénomène s’est accéléré dès que des procédés d’impression puis de numérisation ont permis de diffuser des images en masse. En se passant de mots, l’icône visuelle synthétise un message émotionnel. Elle peut être si évocatrice qu’elle remplace l’expression d’une idéologie entière. Rapidement, ces images ont envahi notre paysage.

        Que vous évoque le nom de Marilyn Monroe ? Sûrement moins sa filmographie que le diptyque coloré d’Andy Warhol… Même plutôt cinéphile qu’amateur de peinture, vous y aurez sans doute songé. Dans un monde d’images toutes puissantes, les pop-artistes nous démontrent que l’icône visuelle peut supplanter son sujet. Parmi les pionniers, Warhol utilise les figures issues de la culture populaire qu’il reproduit à l’infini jusqu’à en extraire la substance esthétique, au point que la célébrité de l’image dépasse celle de ce qu’elle représente. Tout y passe : les stars, les politiques, les objets, la soupe…

        Le phénomène est tellement puissant que bientôt il se retourne complètement. On commence à produire des icônes avec tout, en partant de l’image pour arriver au sujet et non plus l’inverse. Jeff Koons est l’illustre représentant de cette tendance à fabriquer des icônes pour elles-mêmes. Ses œuvres populistes, sans réelle portée significative, mais érigées au rang de symboles de l’art contemporain grâce à leur look inoubliable et à l’agilité médiatique de leur créateur, donnent la direction : celle d’un véritable art de l’icône. Une nouvelle génération d’artistes s’engouffre dans la brèche. Centrant leur travail autour d’un objet unique, leur démarche confine à l’obsession. On peut citer le new-yorkais Kaws et les innombrables versions de son Mooman, M. Chat et son félin tout sourire, ou encore Jayet et ses collections d’ours double-faces homothétiques. Qu’importe le sens de l’œuvre, seule compte sa force iconographique. Les ingrédients de la recette : des couleurs vives, des formes simplifiées, et une répétition à l’infini. Le storytelling, lui, peut venir après, pourvu que l’image reste en mémoire. Car c’est la force d’une image iconique efficace : on s’en souvient. Mieux qu’un nom et son orthographe incertaine. Elle s’imprime dans l’esprit et resurgit dès que la pensée l’effleure.

        Les expériences conceptuelles menées par les pop-artistes ont imprégné notre façon de communiquer. Elles nous prouvent qu’au-delà de leur sujet, les icônes sont intrinsèquement dotées d’une force virale, potentiellement décuplée par l’ampleur de leur diffusion. Plus leur occupation du paysage est large, plus les messages qu’elles véhiculent s’enrichissent. C’est leur popularité qui finit par leur donner du sens. Obama l’avait bien compris, en se présentant d’emblée comme une icône avant même d’avoir écrit son histoire.

        Le pop-art était né de l’utilisation de figures populaires. Aujourd’hui, on utilise ses codes pour populariser ce qui ne l’est pas encore, et créer les icônes de demain. Génératrice d’émulation, une icône forte peut fédérer les consciences, servir une cause, alimenter un espoir. Une icône revendique, elle se moque, c’est une image qui parle, une image qui crie.



Ségolène Girard







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