FAUST MAGAZINE - #13 YIN YANG
avril 2021

JET D’ENCRE






CONTRASTES

LE TAIJITU : UNE DEFINITION GRAPHIQUE DE L’EQUILIBRE



        Ombre et lumière. Froid et chaud. Statique ou dynamique. Il y a plus de 5000 ans, la vision d’un monde basé sur une dualité est apparue dans la pensée chinoise. Plus que la manifestation de forces opposées, c’est l’impossible existence de chacune de ces tendances en l’absence de l’autre qui fonde le concept exprimé par le Taijitu, ce symbole aujourd’hui mondialement répandu dans lequel se lient le noir et le blanc, formant un cercle parfait. Cependant, en se mondialisant, ce symbole complexe voit ses interprétations se déformer au contact de différentes cultures. Sa dimension métaphysique fait resurgir, dans les sens qu’on peut lui prêter, des réflexes issus d’autres religions millénaires bien éloignées du Taoïsme, dont il est un principe fondateur.

        En occident, notre mode de pensée reste étonnamment teinté par les grands monothéismes, quel que soit notre niveau d’adhésion à leur pratique. Or ces religions fonctionnent également sur la base d’une dualité : celle du Bien et du Mal.

        Prêches, péchés, confessions et absolutions, Jugement dernier : le vocabulaire lié à la pratique religieuse ne semble jamais exempt d’une appréciation soit négative, soit positive. Récompense et punition sont des maîtres mots qui guident nos vies sensées se dérouler selon une linéarité tendant vers le Bien. Et notre effort permanent est de définir les limites de ce Bien, ce qui nous conduit à survaloriser certains comportements en dépréciant leurs opposés. Par exemple, le travail est valorisé, et le repos insidieusement assimilé au péché de fainéantise. On condamne l’égoïsme en opposition à l’altruisme qu’on encense. La maîtrise des désirs que l’on tait prévaut sur l’expression des instincts, dégradants et répréhensibles, etc… Cette philosophie rassure dans le sens où elle paraît conférer un sens clair à l’existence. Mais un travail peut-il être mené à bien sans pauses réflexives et régénérantes ? La charité ne flatte-t-elle pas aussi l’égo de celui qui la fait ? Nos instincts ne demandent-ils pas à être écoutés au moment opportun pour ne pas virer plus tard à l’obsession ?

        Avec l’émergence récente de la psychologie, de la PNL et autres thérapies cognitives, on s’aperçoit que ce tri systématique de nos actes en deux catégories, condamnables et louables, est non seulement très subjectif, mais a tendance à générer des frustrations et des culpabilités qui rongent les esprits durablement. « S’accepter tel que l’on est » : une injonction qui soigne et qui, peu à peu, gagne du terrain sur notre quotidien. Dans la bouche des thérapeutes, mais aussi dans la pub (« I am what I am » Reebok, « Just do it », Nike, « Obey your thirst», Sprite ), s’accepter sans se juger est la nouvelle recette du bien-être. L’épuisante dynamique vers l’exemplarité commence à flancher devant l’évidence de l’équilibre. Ce que nous percevions comme une opposition devient une complémentarité. La tension devient fluidité. La ligne du temps se courbe, il n’est plus une course, mais une ronde.

        Mystérieux, exotique, le dessin du Taijitu fascine. Mais gare à l’explication simpliste qui se contente de calquer nos vieux principes manichéens sur ce symbole ! L’interprétation très courante d’un Yang dominant et d’un Yin dominé est complètement empreinte de ces jugements de valeurs qui nous poussent constamment à trancher, à nous maintenir borgnes, à poser sur la vie un regard toujours partial, intolérant, et finalement réducteur. Pour initier la compréhension du Taijitu, il nous faudra d’abord déshabiller notre conscience de tous ses apparats moraux. Se débarrasser du concept de progrès, car gain et perte se compensent. Deux pentes sont nécessaires pour former une élévation, et chaque montagne possède deux versants.

        Debout, légers, mais fragiles, à la merci du moindre souffle de vent, nous nous tenons sur une crête entre adret et ubac, bien moins semblables à des anges qu’à des funambules.



Ségolène Girard
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